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Il était une fois ...
24 novembre 2015

Droit devant ... l'Australie !

... Les prévisions météo nous donnent un aperçu sur sept jours. C’est exactement le temps estimé pour atteindre Sydney, et elle nous est donnée favorable. Pourtant le vent souffle fort dehors, et nous quittons le port avec deux ris dans la grand-voile. 40 nœuds de vent, le lagon écume. Je me mets à douter de la météo et hésite fortement à reporter le départ de peur de nous faire cueillir au large par un coup de vent pénible. J’ai envie de faire un beau départ et une belle traversée pour terminer ce voyage. Avec sa coque toute propre, Tyloo glisse rapidement sur l’eau et déjà nous atteignons l’ilot Larégnère. Nous passons devant les corps-mort sur lesquels j’ai envisagé de passer la nuit pour voir si la météo allait être plus calme demain mais les vagues balayent le mouillage et il n’est plus question de s’y arrêter maintenant. Alors tant pis, nous mettons le cap sur la passe que nous traversons à 16h pour pénétrer une dernière fois dans le Pacifique. On verra bien. Heureusement le vent est portant et le bateau stable.

En fait les prévisions ne se sont pas trompés, et le coup de vent semblait n’être du qu’à un effet de relief car à mesure que nous nous éloignons de la cote le vent faiblit et la nuit s’annonce paisible. J’hésite à mettre le radar en marche pour économiser les batteries puis je m’y résous finalement sur l’argument que nous sommes maintenant proche des côtes australiennes et que le trafic maritime risque d’être plus intense. Brossage de dents et hop, huit heure, tout le monde au lit ! Cette nuit n’est pas tout à fait comme les autres. J’ai appris par hasard en écoutant la radio que c’était la pleine Lune de Novembre et que c’est justement à cette date précise de l’année que se produit l’un des phénomènes les plus étranges du monde sous-marin dans le Pacifique. Dans toute la Nouvelle Calédonie, et au-delà tous les coraux vont se reproduire en même temps et pondre dans l’eau faisant neiger vers la surface des millions de petits œufs blancs et de nuages blancs. Je ne le verrai pas mais j’ai plaisir à voir dans ce hasard du calendrier une manière de nous dire au revoir.

Vers minuit la sonnerie du radar me réveille. Je m’arrache du lit et pointe le nez dehors. La lune n’est pas encore levé et sous un ciel sombre chargé d’étoiles, je n’ai aucune peine à apercevoir les feux d’un cargo sur l’horizon. Je suis content d’avoir finalement décidé de mettre le radar. Il fait vaguement route sur nous et ça va m’obliger à attendre qu’il passe sur notre arrière pour aller me recoucher.  J’ai les paupières lourdes et les minutes me semblent interminables. J’essaie d’occuper ces interminables minutes en levant le regard au ciel. C’est une nuit propice à un ciel magnifique. La Voie Lactée s’étend d’un bout à l’autre de l’horizon en passant juste au-dessus de nous et les étoiles brillent nombreuses. Vingt ans plus tôt je serai resté une bonne heure à profiter de ce spectacle, aujourd’hui quelques minutes me paraissent suffisantes. Dommage.

Je retourne à mon cargo qui à y regarder de près maintenant semble suivre une route qui croise la notre. Je commence à m’inquiéter un peu. Pour être sur qu’il me voit bien, j’allume le feu de pont pour éclairer les voiles en plus des feux de navigation : nous sommes sous voiles et peu manoeuvrant, et une changement de cap de dernière minute sera insuffisant pour nous éviter la collision. Son étrave est maintenant bien pointée sur nous, et il est certain que dans une vingtaine de minutes, peut-être moins, nous allons nous percuter si nous ne faisons rien. En théorie je dois continuer sur mon cap, mais son absence de réaction commence à m’inquiéter. Heureusement, je finis par déceler un changement, d’abord léger, dans son cap puis j’aperçois bientôt son flanc. Il vient d’opérer un net changement dans son cap, tout va bien et lorsqu’en enfin il se trouve loin sur notre arrière je retourne me coucher en bénissant ce flash de raison qui m’a décidé à brancher le radar avant d’aller dormir.

Abandonné à la surveillance du radar, je m’endors profondément et me réveille quelques heures plus tard aux premières lueurs du jour. Le vent souffle ce matin en une brise légère et portante. Le rituel du petit-déjeuner passé, je monte sur le pont pour voir s’il aura lieu de de faire un changement de voiles. Cette nuit j’ai mis le moteur en marche pour appuyer le bateau à la voile qui peinait à avancer. Le génois bat mollement et l’écoute fouette par occasion les haubans qu’elle fait vibrer de manière de manière désagréable. Alors je commence par rouler celui-ci. Le vent parait établi mais insuffisant pour tenir le génois. Il va falloir envoyer une voile d’avant légère : spi ou gennaker ? l’éternelle dilemme. J’ai encore en tête ma dernière tentative échouée d’envoi de spi, malgré tout c’est bien celle-là la plus adaptée. Alors pour me motiver, je pars chercher mon Ipod et me branche de la musique dans les oreilles pour rendre la manœuvre moins rébarbative. Je suis content : 30 minutes plus tard le spi est envoyé en tête de mat d’un seul élan. Il n’en faut pas plus pour me mettre de bonne humeur toute la journée.

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Celle-ci sera belle d’ailleurs. Le bateau avance bien et à plat dans une mer sans vague. Je peux sortir la table extérieur et me lancer dans de petites activités d’entretien et travailler un peu sans risque de voir tout valser par terre au premier roulis. Nous n’avons pas souvent passé de journée en mer aussi belle que celle-ci durant le voyage. La nuit le sera aussi au point que je ne retire même pas le spi. La météo nous autorise même une deuxième journée sous spi, comme la veille.

Nous faisons une route Sud Est qui nous rapproche chaque jour un peu plus des latitudes tempérées et de sa météo moins clémente. Mais pour l’instant il fait chaud et l’eau est belle et encore à 27°C. Alors j’affale toutes les voiles, lance un bout à l’eau attaché à un flotteur, et mets l’échelle de bain à l’eau. C’est la première fois que nous le faisons dans ce voyage et je ne peux résister à l’envie excitante d’une baignade en pleine mer. Et l’eau est si belle aujourd’hui. La sensation est très bonne. Agrippés à l’échelle de bain nous apercevons à travers nos masques un petit poisson Pilote s’abritant sous la coque. Nous sommes donc trois dans ce coin désertique. En dessous de nous, 4500 mètres d’eau. C’est un spectacle en soi. Le soleil au zénith vient plonger ses rayons dans l’eau bleu et se répandent sous la surface en un rideau irisé ondulant cherchant à percer l’épaisseur de l’océan. Une véritable aurore boréale sous-marine. La journée se termine comme elle a commencé, en douceur. Encore une très belle journée, quelle chance.

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(En route vers l'Australie Maxime dort devant au coucher du soleil)

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Au matin suivant, le vent est revenu, un peu plus fort qu’hier, 20-25 nœuds et il semble vouloir se maintenir. Le soleil brille d’un bel éclat, des conditions parfaites pour envoyer le gennaker. Je range le spi dans son sac, définitivement cette fois. Pour lui c’est déjà la fin du voyage. La musique dans les oreilles, je prépare méthodiquement la voile, j’ai envie de réussir un envoi parfait du premier coup. Et bientôt celui-ci se retrouve en tête du mat joliment gonflé par une brise parfaite en force et en direction. Je retourne m’assoir dans le cockpit et me délecte du spectacle de cette belle voile guidant l’étrave du bateau vers Sydney. Une magnifique journée, un envoi réussi du premier coup, je suis aux anges. Je n’espérais pas d’aussi bonnes conditions pour ce dernier bout de navigation du voyage.

Quelques minutes plus tard, un bruit sec et sourd me sort de mes pensées. En levant les yeux en direction du mat d’où vient le bruit, j’aperçois le gennaker suspendu dans les airs qui commence à tomber mollement. La drisse vient de se rompre. Je me dépèche d’aller récupérer la voile à la volée avant qu’elle ne tombe entièrement à l’eau et ne passe sous le bateau au risque de se déchirer sur les appendices de la coque. La dernière fois où j’ai eu à faire cette manœuvre, c’était dans l’Atlantique, il y a bien longtemps. Heureusement la rupture s’est produite au bout de la drisse et il reste assez de longueur pour remettre la voile. Il va quand même falloir que je monte en haut du mat pour la repasser dans la poulie. Le bateau ne roule pas trop et l’opération se déroule par chance sans problème. Vingt minutes plus tard, le gennaker tire à nouveau Tyloo.

Hormis cet incident, la météo sera clémente et durant les deux journées qui vont suivre le bateau continuera à avancer à un rythme rapide et reposant. Nous sommes gatés par la météo mais j’essaie d’avancer le plus vite possible car les prévisions annoncent un vent de Sud défavorable soutenu à deux jours de l’arrivée de Sydney. Hors depuis notre départ de Nouvelle Calédonie, la météo se sont montrées redoutablement fiables.

Au matin du deuxième jours, cela semble se confirmer encore une fois. Le vent a tourné à 180°, s’établit au-dessus à 25 noeuds et nous le recevons au près bon plein par babord. Des vagues sont en train de se former et le bateau commence à giter légèrement maintenant. Le gennaker est roulé rapidement et remplacé par le génois. Je range le pont et l’intérieur du bateau en prévision d’un possible coup de vent.

Une heure plus tard, le vent s’est installé dans la tranche des 30-40 nœuds. Une forte houle aux pentes raides soulève maintenant Tyloo à chacun de ses passage. Quatre à cinq mètres de creux peut être. Seules quelques rares crètes déferlent mais souvent elles viennent s’écraser sur l’avant du bateau en roulant jusqu’au cockpit. Au premier paquet d’eau qui parvient à se frayer un chemin par l’un des hublots sous le vent resté ouvert, je me décide à mettre Tyloo en mode sous-marin : hublots verrouillés et capot de la descente d’escalier rabattu entièrement.

Nous sommes maintenant fermés dans le bateau, les vagues elles sont maintenant plus nombreuses à venir s’écraser lourdement sur le pont. Le ris dans la grand-voile a été pris, et le génois réduit au strict nécessaire pour garder de la vitesse, et le bateau se met à buter dans la vague parfois. C’est un petit coup de vent seulement, pourtant la puissance et la forme de la houle ne laisse aucun doute sur ce à quoi peut ressembler du vrai mauvais temps ici. A cet instant je sais que nous avons définitivement quitté la douceur des Tropiques.

Comme à chaque fois dans ces cas-là, il n’y a rien à faire qu’à attendre que ça passe. Impossible d’aller à la table du carré, pour avoir essayé je sais qu’il n’est pas possible de tenir plus de cinq minutes là-bas sans être malade. Alors nous nous allongeons dans la cabine et attendons que ça passe. Les heures passent, lentement. Pendant que tu lis, je réfléchis et commence à me demander si nous ne devons pas changer de cap. Le mauvais temps semble bien installé et je suis au bout des prévisions météo que j’ai pris avant de partir.

Quelques aller-retour rapide à la table à carte m’indique que nous ne tenons plus vraiment le cap pour aller à Sydney. Le seul abri avant Sydney, c’est Port Stephen. Il n’est qu’à 18h de route de notre position mais à l’opposé de là où nous allons. Il serait très facile et si confortable d’abattre de 70° pour rejoindre cet abri. D’un près fatigant pour tout le monde nous passerions à un confortable portant et rejoindrions rapidement Port Stephen, parfaitement protégé de la houle à attendre que la météo devienne favorable. J’hésite car j’ai informé avant de partir les autorités australiennes que nous arriverions à Sydney, et la perspective de tracasseries possibles parce que nous nous sommes arrêtés dans un autre endroit m’inquiète. Et puis depuis notre départ de France nous n’avons jamais reculé, alors j’ai du mal à me résoudre à l’idée de la faire si près du but.

Malgré les assauts du mauvais temps qui sapent patiemment notre moral, je choisi finalement de tenter le coup de poker en pariant sur une accalmie dans la nuit. Si je me suis trompé nous ferons alors route sur Port Stephen.

Donc pour l’instant, nous devons continuons à tuer le temps bien installé dans notre cabine. C’est Tyloo qui est sur le pont et devra affronter seul ce coup de vent. La journée passe à guetter le moindre bruit, le moindre mouvement anormal indiquant qu’il n’est plus raisonnable de continuer et qu’il faut maintenant nous mettre à l’abri.

Le soir arrive enfin : il matérialise 12 heures déjà écoulées, et annonce la seule réjouissance de la journée, un rapide repas avalé debout dans la cuisine pour moi et assis par terre pour toi. Je prépare le bateau pour la nuit, et nous retournons dans la cabine. Toute la nuit le vent continue à souffler, 40-45 nœuds souvent. Nous sommes toujours au près mais notre cap ne permet plus d’atteindre Sydney maintenant. Tant pis, les vagues bien que très formées n’empêchent pas le bateau de tracer sa route, alors laissons passer 12h et nous ferons le bilan de mon pari demain matin.

La chance a décidé de nous accompagner jusqu’au bout du voyage car le vent a commencé à baisser en intensité en deuxième partie de nuit et rapidement le bateau se met à moins buter dans la houle. Au matin, c’est une météo manœuvrable sous un beau soleil qui s’offre  nous. Le vent vire au Nord et nous pousse maintenant au portant droit sur Sydney.

Vers 15h la côte se dessine enfin sous nos yeux. L’eau a subitement perdu sa couleur bleu pour devenir kaki presque noir. Les deux falaises marquant l’entrée de la baie sont bientôt en vue. Nous sommes contents d’être arrivés, mais la conscience bien présente des difficultés qui nous attendent bride sérieusement notre plaisir. La satisfaction d’être allé au bout est-elle entière. Un peu de mélancolie aussi en repensant à tout ce que nous venons de vivre depuis deux ans.

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Une dernière fois descend la grand-voile et roule le génois, et nous pénétrons dans la baie. Lorsque nous virons la falaise sur babord, ce que nous découvrons est pour nous un vrai choc. De nombreux bateaux, petits bateaux moteurs, voiliers, ferry plus ou moins rapides, jusqu’à un grand bateau de course type Coupe de l’America portant un pavillon italien, sillonnent frénétiquement la baie. Certains arrivent par la droite, d’autres par la gauche, bientôt par l’arrière en nous dépassant. On se fait klaxonner car surveillant un bateau qui arrive sur nous par la droite, je n’ai pas vu que nous coupions la route d’un autre qui arrive à vive allure par la gauche. De très nombreux bras de rivière viennent se jeter, rendant le relief très découpé et difficile de se repérer.

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Je ne sais pas ce qui est autorisé ici, ce qui ne l’est pas. Faut-il naviguer à droite ou à gauche comme les voitures ? autant de questions auxquelles j’essaie de répondre tout restant concentré sur la direction. Plus nous avançons plus le balisage se fait dense et l’activité aussi. Je ne parviens pas à trouver la zone de quarantaine censée accueillir les étrangers de passage. L’Opéra et le pont de Sydney sont en vue et bientôt nous les dépassons, mais toujours pas de mouillage.

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Il est 19h et il faut songer à trouver un endroit pour la nuit, ce qui s’apparente un peu à chercher un mouillage en plein New York … A force de tâtonner et de ne pas trouver, je décide finalement d’aller nous mettre à un corps-mort devant lequel nous sommes passés plusieurs fois. A la troisième tentative pour saisir la bouée rouge, Tyloo se retrouve enfin amarré. Je coupe le moteur et peux maintenant prendre calmement la mesure de l’endroit. Irréaliste.

Nous sommes mouillés au pied d’un monde en pleine explosion consumériste et de  son gigantisme. Devant nous, l’Opéra et les gratte-ciel, à notre droite le pont énorme de Sydney, autour de nous le clapot désordonné des navettes qui font le lien avec la City. A cet instant je ne crois pas que je me puisse me sentir plus étranger, plus déboussolé. Hier encore nous étions en plein milieu d’un coup de vent à subir la rudesse des éléments …

Il est 20h et déjà l’heure de préparer le repas. Rien d’extraordinaire, il ne sera pas différent de ceux dont nous avons l’habitude. Quand bientôt tu es au lit, je sors quelques minutes profiter des derniers instants de cette vie qui s’achève.

Le soleil se couche et fait rougeoyer les immeubles de verre devant nous. En profitant du calme et du spectacle de la nuit qui tombe sur Sydney, je m’efforce de chasser les souvenirs du voyage qui tentent de refaire surface et regarde avec espoir les gratte-ciel colorés dressés devant nous. Je sais que les vrais difficultés vont commencer demain, mais je suis soulagé par la conviction que ce coin du monde est certainement très bien pour ce que nous  avons maintenant à construire.

Je ne reste pas longtemps dehors moi non plus, car un vent froid transperce le pull de laine que j’ai enfilé et l’humidité de l’air a déjà commencé à tout envelopper sur le pont.

Un dernier regard sur aujourd’hui, et je rabats le capot de la descente d’escalier pour venir te rejoindre au chaud sous la couette.

Avec_C_dric_Ponsonnet_2

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Commentaires
S
Felicitations Oliv!!! You made it!! Bon perso, j'aurais plutot pris l'avion Paris-Sydney, mais bon, c'est un choix tres personnel apres tout ;-)<br /> <br /> Je profite de l'occas pour vous souhaiter a tous les deux une happy nouille 2016 et plein de bonnes choses pour cette nouvelle annee!! Raconte nous vite comment ca se passe down-under!!<br /> <br /> Bises a vous deux! Tchou
M
Hi, Bravo les loulous des mers lointaines, les citoyens du monde des îles, du vent, de l'eau …. pendant tout ce voyage. Vous reprenez contact avec la terre ferme, sans doute, et j'espère, avec plein d'énergie pour découvrir ce "nouveau" monde. L'eau y est tout autour d'ailleurs, et même si elle ne doit pas avoir le même gout et la même densité, vos yeux peuvent s'y poser en permanence. Good luck, have a nice day. Kisses. Martin
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